vendredi 28 janvier 2011

La ruelle, poumon de la vie urbaine


Mettons que parce que vous aimez votre ruelle – une de ces ruelles étroites du Plateau, où une voiture passe mais pas plus, sur laquelle donne toute une série de jardins plus ou moins clôturés et autour de / dans laquelle vivent au moins 3 ou 4 familles avec enfants – et que parce que vous l'aimez, et parce que vos enfants l'ont adoptée comme une extension de leur chambre, vous décidez de laisser pousser la verdure qui s'y trouve, aussi anarchique soit-elle. Après tout, selon vous, la verdure a un avantage non négligeable sur le béton puisqu'elle agrémente le paysage, en plus de lutter contre l'effet îlot de chaleur. Et puis les photos que vous prenez de vos enfants sont plus jolies avec des plantes qu'avec des craques d'asphalte et quelques déchets négligemment abandonnés là en guise de toile de fond.

Laisser pousser ce qui vient - armoise, framboisiers, vigne vierge : de quoi habiller n'importe quelle clôture laide.   

L'été se passe, les abeilles vont et viennent, vous raccourcissez quelques branches trop hardies, vos inspections régulières confirment qu'il n'y a ni herbe à puce ni herbe à poux, aussi vous félicitez-vous de votre initiative qui rend ladite ruelle un peu plus vivante et accueillante.

Et puis l'hiver suivant, vers la fin du mois de janvier, vous recevez une contravention eu égard à votre « négligence » (si si) qui a eu pour conséquence que les plantes mesurent plus de 15 cm. Vous apprenez donc du même coup plusieurs choses à la fois :
  • il existe un règlement municipal exigeant de maintenir les plantes du domaine public à moins de 15 cm de hauteur (on se demande bien à qui ça profite, ou plutôt qui peut bien être dérangé par quelques plantes vertes)
  • vous êtes tenu d'entretenir le terrain public adjacent à votre lieu de résidence en autant qu'il s'agisse de verdure (par contre ne parlons pas de déneigement, et encore moins de détritus qui traînent)
  • la « négligence » entraînant une anarchie verte circonscrite sur 50 cm de large dans une ruelle peu passante coûte 3 fois plus cher ($144) que celle impliquant une auto stationnée au mauvais endroit au mauvais moment et gênant la circulation de milliers de personnes ($47)

Voilà pour les choses que vous apprenez. Mais il y en a d'autres qui vous plongent dans des abîmes de perplexité :
  • le constat d'infraction que vous avez reçu date d'il y a presque 4 mois, or il s'agit de la copie d'un original qui ne vous a jamais été transmis
  • le constat (sa copie donc) a beau mentionner une date et une heure (chiffres par ailleurs un peu trop « ronds » à votre goût, 1er octobre à 15h pile, mais passons), il ne mentionne aucunement que le constat a été remis à la personne incriminée, alors qu'il aurait suffi de le laisser dans la boîte aux lettres de l'autre côté (au prix, convenons-en, de 100 mètres supplémentaires de marche à pied)
  • les 30 jours permettant supposément de plaider coupable ou non-coupable sont donc écoulés depuis belle lurette, mais vous n'y pouvez absolument rien puisque vous n'étiez même pas au courant que vous aviez commis une infraction


Il y a de quoi se demander où est rendu le bon sens.

***

Source : Ville de Montréal
Montréal lutte (ou annonce qu'elle lutte, ce qui n'est pas tout à fait la même chose) pour garder ses familles, mais dans le grand pot de raisons plus ou moins évidentes pour lesquelles celles-ci fuient la ville, il y a aussi l'adaptation à la réalité des règlements municipaux. Et il semble évident qu'une façon fort économique d'améliorer l'attrait et l'image de la vie familiale en ville, c'est de mettre en valeur ce patrimoine unique des ruelles.

Est-ce donc si difficile à comprendre que des règlements comme ce 15 cm de hauteur maximale de verdure sont absurdes, n'ayant manifestement d'autre but que d'empêcher la vie de s'installer dans ces ruelles ?

Est-ce si difficile à concevoir que le jeu dans la ruelle est partie intégrante de la vie d'enfants urbains ? De la culture urbaine du Québec même ? Pourquoi donc l'interdire (car il existe un règlement à cet effet, si si) sous le prétexte que la ruelle est un lieu de passage, qui doit être dégagé en tout temps ?

Est-ce tellement impossible de voir que c'est grâce au formidable « effet corde à linge » d'une ruelle en santé que des jeunes familles immigrantes (souvent celles qui choisissent la ville, consciemment ou non) s'intègrent dans leur quartier ?

Est-ce si impensable de constater que les ruelles, a fortiori si elles sont verdies et/ou aménagées de sorte à y ralentir - voire y empêcher - la circulation, représentent bien souvent le premier espace de défoulement des enfants qui, entrés par en-avant, sortent par en-arrière pour aller vivre leur vie loin du regard de leurs parents ? Car il n'y a rien de commun entre sortir jouer au parc (sous la surveillance de papa-maman) et sortir jouer dans la ruelle (loin du regard de papa-maman, mais pas vraiment seuls puisqu'il y a toujours 1 ou 2 voisins pour jeter un oeil). 
Sans parler des parents qui au détour d'un 5à7 improvisé, décompressent de leur journée et profitent de la douceur de vivre des derniers rayons de soleil l'été...

***

Verdir les ruelles, les « habiter », y réduire la circulation automobile quand c'est possible ou réaliste, y laisser régner une gentille anarchie (plantes, jeux, bancs) comme trace de vie par opposition au laisser-aller d'une ruelle désertée par ses riverains... c'est une façon admirable d'y garder ses habitants, de les attacher à un quartier. 

St-Jean de Ruelle - voisins et convivialité
Dans la ruelle on apprend à vivre ensemble, à se connaître, on discute, on débat, on co-habite dans tous les sens du terme. La ruelle est le lieu par excellence de l'appréciation de la vie urbaine. Alors sous quel prétexte devrait-on la maintenir désertique, sans attraits, dégagée en tout temps - assurément pour le moteur qui aurait un besoin irrépressible de la traverser ?

3 commentaires:

Geneviève a dit…

test

André Boulanger a dit…

Je suis tout à fait de ton avis que les arrondissements ont énormément à gagner en laissant agir les résidents qui voulant bonifier la vie de leur quartier. Lorsque des pieds-verts investissent une ruelle, la circulation piétonne, la propreté et la sécurité du lieu s'améliore immédiatement.
Les automobilistes se sont accaparés tout l'espace public devant les résidences. Pourtant, ils ne représentent que la moitié de la population montréalaise. Plus on favorise le verdissement des ruelles, plus on favorise le confort de vivre en ville. C'est toute la convivialité du quartier qui en bénéficie. La culture du char et de son individualisme peut rester devant les maisons mais c'est derrière elles que la vie de quartier prend vraiment son envol.

PierreL a dit…

Bizarrement la ville elle même ne respecte pas ce règlement en ne coupant pas les mauvaises herbes sur ses terrains..!