vendredi 27 mai 2011

Une réflexion sur la taxe foncière en plus de 140 caractères



Réflexion sur les taxes foncières à Montréal et sur le Plateau Mont-Royal


Les dernières hausses de taxes ont provoqué bien des réactions et suscité l'intérêt des propriétaires, des locataires et des commerçants du Plateau Mont-Royal, où les augmentations ont été soutenues et souvent élevées au cours des dix dernières années.

Lorsqu'on parle de taxes, que ce soit sur le revenu, les immeubles ou les tarifs imposés pour les permis, l'alcool, les loisirs, et j'en passe, la première réaction est naturellement négative; personne ne veut payer plus, et surtout pour quelque chose que l'on ne voit pas nécessairement dans son intérêt immédiat.

Au cours des derniers mois sur le Plateau, nous avons été témoins de deux situations-événements qui valent la peine d'être examinées côte à côte afin de débuter une analyse de la place que prend l'impôt foncier dans la vie d'une ville ou municipalité, place, on doit le dire, stratégique et prépondérante dans le financement de services aux citoyens-résidents.

Ces deux événements sont la proposition de hausse des tarifs de stationnement sur le Plateau, et la réaction récente à l'augmentation des taxes foncières

Allons-y, alors...


Les sources de financement des Villes

Cela devrait être simple et court... Il y a deux sources principales: l'impôt, foncier (résidentiel et non-résidentiel) et sur le revenu (plus rare), et la tarification des services.  Pour se convaincre que ce sont les deux seules sources, qu'il nous suffise de regarder l'actuel comportement des maires de villes de banlieues: ils sont présentement pour la plupart carrément opposés aux limites à l'étalement urbain parce qu'ils ont désespérément besoin de plus d'impôt foncier résidentiel autant que non-résidentiel), leur principale source de financement.  Il doit donc se construire plus de maisons et plus (s'ils peuvent les attirer) de places d'affaires. De plus, ces municipalités ont un impôt de base peu élevé, mais auquel s'ajoute une longue liste de tarification de services spécifiques.


À Montréal: impôt foncier vs tarification

Une étude menée sur l'impôt foncier sur le Plateau il y a quelques années, et pilotée par l'administration Fotopoulos, révélait que la part de la tarification dans les revenus de la Ville de Montréal était de moins de 1%, alors que le taux de taxation foncière avait presque atteint le niveau maximum permis par la Loi sur la fiscalité municipale (pour le secteur non-résidentiel).

Et tous se souviendront du tollé de protestation, orchestré par les SDC du Plateau l'an dernier, alors que l'arrondissement proposait d'augmenter les tarifs des parcomètres...

Alors, si, comme certains le réclament, il faut abaisser le niveau de l'impôt foncier, quelles solutions avons-nous pour financer nos services publics, et surtout, surtout, pour améliorer la qualité pour vivre sur le Plateau?  Nous croyons qu'avant de réclamer une révision de ce que nous payons en impôt foncier comme propriétaires, nous devons examiner très objectivement les besoins de nos services municipaux et leurs possibles sources de financement.  Toute autre façon est vouée à l'échec, et voici pourquoi.


La valeur des propriétés, des places d'affaires et fonds de commerce

Il y a plusieurs acteurs, ou joueurs, sur ce que nous appellerons ici "l'échiquier foncier".

Essayons...

- Les propriétaires-occupants de maisons, de quelque type qu'elles soient;

- Les propriétaires-exploitants (pas de sens péjoratif) de maisons, surtout à logement;

- Les propriétaires de commerce (occupants ou louant des lieux pour leurs fonds de commerce);

- Les locataires (excluant ceux qui louent pour opérer un commerce).

Ces catégories ne sont pas scientifiques, mais visent seulement à aider la discussion qui suit...

Dans les quatre cas énoncés, tous payent une part de l'impôt foncier prélevé par la Ville: Les propriétaires-occupants d'unifamiliale en payent la totalité, ceux de maisons à revenus une portion; les propriétaires-exploitants une partie également, mais une bonne partie est payée par les locataires; les propriétaires de commerces, ou leurs locataires, payent l'impôt foncier et aussi d'autres taxes liées à leur opération commerciale, ; et enfin, les locataires payent généralement la "grosse" partie de l'impôt foncier imputé aux propriétaires et les augmentations, mais peuvent aussi bénéficier d'une déduction d'impôt sur le revenu provincial.

Alors, qu'est-ce qui cloche dans ce système?

Eh bien rien, si tout est fait de façon équitable, et c'est là la grande question... Est-ce équitable?


La valeur des propriétés et le taux d'imposition

C'est ici que l'on expose une vérité de la Palice au grand jour: si une propriété vaut plus cher, elle est plus taxée, et si le taux d'impôt foncier imposé est plus élevé, elle est encore plus taxée.  Et à cet égard, il est intéressant ici de revenir sur quelques données publiées au début de l'année et qui révélaient que le taux d'imposition sur l'île de Montréal est inférieur à celui imposé à Laval et à Longueuil - oui, oui, vérifiez, c'est rigoureusement exact... - L'économiste Paul Daniel Muller (articles publiés le 17 janvier 2011 dans les Journal de Montréal et Québec, et reportage à TVA) commentait les conclusions du rapport du ministère des affaires municipales sur le taux global de taxation (TGT) des villes sur l'île de Montréal et des couronnes nord et sud: ainsi, le TGT de Montréal est de 0.98$ du 100$ d'évaluation, comparé à 1.28$ pour Laval et 1.05$ pour Longueuil.  Mais les taxes payées à Montréal sont plus élevées que celles payées par nos voisins, tout simplement parce que l'évaluation moyenne de la propriété à Montréal est  souvent supérieure;  Laval et Longueuil sont des exemples aux fins de comparaison de la valeur des propriétés.

Notons ici que le TGT permet de comptabiliser toutes les taxes liées aux immeubles.  À Montréal, par exemple, la plupart, sinon toutes les taxes sont comprises dans l'impôt foncier  unique; ce n'est pas le cas pour plusieurs municipalités voisines, où le taux d'impôt foncier de base est plus bas qu'à Montréal, mais les taxes spécifiques (qui tiennent de la tarification) pour divers services comme l'eau, les infrastructures, la collecte des déchets, etc. qui s'y ajoutent font en sorte que le taux final est plus élevé.

Alors, la règle est la suivante (c'est dans la Loi sur la fiscalité municipale): si la valeur marchande de votre propriété augmente, l'évaluation foncière augmente et vous allez payer plus cher d'impôt foncier.  Inéluctable.

Est-ce que c'est équitable? Peut-être pas, mais... Allons voir de plus près.


Les commerces

Ils payent l'impôt foncier, d'une façon ou d'une autre, et aussi des taxes liées à leur commerce.  Ils sont bien sûr assujettis à la valeur évaluée des bâtiments qu'ils occupent ou exploitent.  Si les commerçants évoquent des coûts d'exploitation trop élevés, il leur est plus aisé de pointer du doigt l'administration "qui les taxe".  C'est un réflexe naturel.  Mais il y a une autre réalité: le coût locatif moyen aux fins commerciales sur le Plateau est élevé. Il atteint parfois plus de 30$ du pied carré; nous avons trouvé un exemple réel sur Saint-Laurent à 32$ le pi. ca. "taxes en sus" et, "Exclus: toutes taxes municipales, scolaires et autres, dépenses d'exploitation, chauffage et climatisation".  On peut sans doute affirmer qu'on "refile tous les coûts" au locataire; et il serait intéressant de savoir quelle est la "marge de profit" du propriétaire-locateur...  Même en ramenant le coût au pi.ca. à 20$, on peut alors facilement imaginer une boutique sur Mont-Royal d'une superficie de 1000 pi. ca. à 20,000$ par an, auxquels s'ajouteraient toutes les autres charges; seulement en ajoutant les dépenses d'électricité et autres dépenses d'opération, on arrive probablement à près de 24,000$  Et toutes les taxes sont encore à payer.

Plusieurs facteurs affectent la rentabilité et la stabilité d'un fonds de commerce, mais on doit reconnaitre que la santé d'une opération commerciale doit reposer principalement sur sa stratégie d'affaires, son marketing et sa capacité d'attirer la clientèle et l'inciter à revenir.  Il est alors mal aisé pour les commerçants d'invoquer le seul facteur d'une taxation excessive pour expliquer les difficultés qu'ils éprouvent.  Est-ce qu'une partie importante des difficultés éprouvées ne viendrait pas d'une spéculation effrénée du prix des propriétés à vocation commerciale, et donc d'un coût locatif excessif? Alors comment doit agir l'administration publique, qui établit son taux d'imposition justement sur cette valeur? En abaissant les redevances d'impôt sans égard à la fluctuation du marché?

Non.

Parce que le coût du loyer demeurerait aussi élevé, et continuerait d'augmenter, mais l'impôt retenu diminuerait.  Ce ne serait pas équitable, et seuls de riches propriétaires en bénéficieraient ultimement, même si les locataires pourraient sauver quelques centaines de dollars; d'autre part, comment distinguer entre les commerçants en "difficulté" et les autres, qui peuvent plus facilement s'acquitter des charges liées à leur commerce?






Les propriétaires de maisons

C'est ici qu'il faut être extrêmement prudent... et délicat.  Mais il y a quand même plusieurs réalités et vérités non dites, que nous dirons ici en enfreignant la règle sacrée de la langue de bois. Il le faut.

Tous les propriétaires ne sont pas égaux.  Et il y a plusieurs situations individuelles dont on ne parle jamais, et on peut se demander pourquoi.  Prenons quelques exemples:

- Un propriétaire d'un ou de plusieurs immeubles à logement, amorti(s) partiellement ou en totalité depuis longtemps;

- Un propriétaire-occupant de duplex à six-plex, lui aussi amorti partiellement ou en totalité depuis longtemps;

- Un propriétaire de cottage ou d'unifamiliale, amorti partiellement ou en totalité depuis longtemps;

- L'un des trois cas précédents, mais nouvellement acquis, donc peu amortis, donc à coûts plus onéreux;

- Un propriétaire qui a effectué des rénovations majeures (dans l'un ou l'autre des cas précédents (et dont l'évaluation foncière a augmenté en conséquence);

- Un propriétaire d'immeuble dans un secteur prisé, en demande croissante, où la valeur marchande augmente de façon importante sur une courte période (dix ans semble être une période observée dernièrement pendant laquelle l'impôt foncier a pu doubler de valeur);

- Et pour conclure, dans tous les cas qui précèdent, des propriétaires ou locataires, individuels ou commerciaux, qui ont des revenus assez importants pour supporter aisément toutes leurs charges et leurs augmentations.

Vous voyez peut-être où nous voulons en venir...

Prenons ici une pause pour résumer:

- On aime: La valeur marchande élevée -  Notre propriété,  que ce soit notre maison ou notre immeuble commercial, augmente de valeur, et notre "enrichissement" aussi.

- On déteste: La taxe et ses augmentations, payées à partir de l'évaluation foncière, elle-même basée sur la valeur marchande.

- La valeur de nos propriétés augmente: nos impôts fonciers augmentent. Nous ne sommes pas contents. Mais nous ne voudrions pas non plus que l'on impose de restrictions quant à la valeur de la vente (par exemple, un frein ou un "cap" à la valeur de vente, ou la taxation du gain à la vente, ou la diminution de ladite valeur marchande. Si?)

- Les administrations publiques proposent d'augmenter la tarification et les frais d'utilisateur payeur.  Nous ne sommes pas contents.

- Les administrations nous disent qu'à défaut, nous devrons subir une baisse des services dont nous bénéficions. Nous ne sommes pas contents.

- Mais nous serions contents si on abaissait le fardeau de l'impôt foncier...

Avons-nous ici un noeud gordien?  Essayons quand même de le dénouer.



La dure réalité des villes et le législateur québécois

L'impôt foncier est ultimement du ressort du Ministre des affaires municipales et de l'assemblée nationale.  Si les lobbys en faveur d'une réduction du fardeau foncier réussissent à faire suffisamment de pression, ils réussiront à obtenir une écoute à ce niveau, en Commission parlementaire ou dans d'autres officines du gouvernement.  Mais ils feront alors face à une redoutable langue de bois (pour les raisons exposées précédemment).  Tous les politiciens se diront "en faveur", parce que c'est toujours le cas lorsque le contribuable se plaint qu'il paye trop, en impôts, en taxes ou en tarifs. Mais les "vérités" ici énoncées resteront non dites, et le résultat final ne sera pas plaisant pour tout le monde.  Parce que le législateur québécois n'aura tout simplement pas le choix, lui qui est en quasi-faillite, et de plus confronté à une crise majeure, sans précédent, de corruption et de collusion du milieu municipal.

Et ne rêvons pas à un nouveau régime "universel" applicable à tous les propriétaires.  Cela n'arrivera pas, encore pour les raisons évoquées plus haut.

Le résultat, tout au plus, sera le suivant:

- Un régime spécial accordé aux occupants-propriétaires de longue date, selon le revenu annuel (duquel on aura pris en compte les charges de l'immeuble, incluant les paiements hypothécaires),  qui donnerait droit, selon le plancher fixé, à une réduction fiscale leur permettant de souffler. Mais attention et soyons clairs: Si votre propriété est entièrement payée, que vous venez de faire d'importantes rénovations qui augmentent sensiblement sa valeur, et que vous avez des revenus moyens ou importants (si vous voulez, on peut parler de chiffres, mais ici... non) il ne devrait pas y avoir de faveur, ni de réduction du "fardeau foncier".

- Une diminution du plancher de revenu du locataire permettant un remboursement plus élevé pour le paiement de l'impôt foncier.

- Un "congé" d'impôt foncier pour les aînés et/ou les personnes à faible revenu occupant leur propriété de longue date.

- Rien pour les propriétaires-exploitants, si ce n'est une réduction, peut-être, de l'impôt foncier en échange d'obligations de rénovation des services critiques des immeubles (isolation, chauffage, plomberie, salubrité) et de sanctions sévères et immédiates en cas de dérogations, avec recours des locataires.  Par exemple, avant de même songer à alléger le fardeau de l'impôt foncier de ces propriétaires, il faudrait s'assurer qu'ils fassent les travaux d'isolation essentiels afin de ne plus refiler à leurs locataires des factures de chauffage qui frisent l'obscénité.  En passant à d'autres ces factures astronomiques, les propriétaires font preuve de négligence grave et délibérée en ne rénovant pas leur propriété.  Et si on ajoute que l'impôt foncier du propriétaire est payé en grande partie par le locataire, individuel ou commerçant... alors cela frise la malhonnêteté.

En guise de conclusion, il faut aussi dire que tout allègement fiscal devra être compensé par des sources de revenus alternatives pour la Ville et l'arrondissement (puisqu'on doit revenir au Plateau...) Et parce que la demande de services de la part des citoyens-résidents n'ira pas en diminuant, il faudra même augmenter les revenus.  Nous n'y échapperons pas.

Si nous obtenons des allègements au régime de l'impôt foncier, et strictement pour ceux qui en ont un besoin réel, nous devrons également nous montrer d'accord avec une augmentation de la tarification des services, des frais d'utilisateur payeur et peut-être aussi avec une forme d'impôt sur le revenu que la Ville peut maintenant introduire. Et il nous faudra, de façon mature et responsable, nous entendre comme citoyens sur les éléments positifs et négatifs de telles mesures et/ou augmentations, afin d'aller de l'avant et améliorer le bien-être de notre communauté de résidents.

Comme le disait Lavoisier, il y a maintenant quelques siècles, "rien ne se perd, rien ne se crée."

Bon débat.  Il n'est pas fini, peu s'en faut!

Denis Méthé
pour Plateau Milieu de Vie
le 27 mai 2011


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